MICHEL BOUJUT

ICI ET AUJOURD'HUI — DU «GROUPE 5» ET DE QUELQUES AUTRES

CH-FENSTER

En sept films très exactement, le Groupe 5 est entré tout cru dans l'histoire du cinéma!

Ce qui nous a rapproché hier (entendez en 1968), rappelle Alain Tanner, c'est le fait d'avoir à partir à zéro, de devoir inventer de nouvelles méthodes de production à partir de moyens dérisoires. Nous n'avions pas une conception identique du cinéma, ni un langage commun, mais une volonté d'être fidèle à soi-même plutôt que de courir derrière les modes.

Cinq ans plus tard, le Groupe a-t-il encore une raison d'être autre que sentimentale et nostalgique? Est-il encore une nécessité économique? Début décembre, Soutter, Tanner et Goretta — les «cinq moins deux» — ont rencontré des responsables de la TV romande pour débattre de ces questions et de quelques autres. En effet, tous les trois viennent ou vont tourner des films en 35 mm couleur dont le mode de production ne fait pas appel au Groupe 5. Michel Soutter a achevé à la fin de l'année le mixage de son sixième long-métrage, Pardon Auguste, Alain Tanner commence à la mi-janvier le tournage du Milieu du Monde, et Claude Goretta réalisera en mai-juin un film dont il écrit actuellement le scénario.

Pour eux, en tout cas, finis le bricolage et les jongleries avec des bouts de ficelle! Place au professionnalisme et aux coproductions avec la France...

La fin du Groupe 5?

Désormais, à l'issue de notre rencontre récente, commente Claude Goretta, la TV romande ne passera pas de contrat global avec le Groupe 5 ou avec un autre groupe qui pourrait se constituer, mais elle traitera individuellement de cas en cas avec des réalisateurs. La TV est donc maintenant ouverte à d'autres propositions de coproductions que les nôtres, et il faut s'en féliciter.

Est-ce à dure que l'existence du Groupe 5 est remise en question?

Nous n'avons pas encore décidé si nous allions maintenir ou non le Groupe 5. Malgré nos tempéraments différents, nos approches différentes du cinéma, nous sommes restés proches les uns des autres. Il y a un âge, une culture, une amitié qui nous lient tous les trois. La complicité avec Alain existe depuis l'Université, celle avec Michel, depuis ses débuts à la télévision quand il était mon assistant. Personnellement, je souhaite que la notion du Groupe demeure; Michel aussi, Alain est peut-être plus réticent... Cela dit, il y a toujours eu un certain nombre de malentendus à notre endroit. Le Groupe 5 n'a jamais été une coopérative de production. Mais plutôt une sorte de label. La TV avait seulement passé un contrat avec cinq de ses collaborateurs. Vis-à-vis d'elle, nous prenions l'engagement de mener à bien nos films coûte que coûte. Si l'un d'entre nous, pour une raison ou pour une autre, n'avait pu finir son film, un autre membre du Groupe l'aurait terminé.

On a parlé d'école genevoise du cinéma à propos du Groupe 5.

En fait, nous avions tous été formés par la TV, nous tournions avec les mêmes techniciens, dans les mêmes conditions très modestes. Cette fameuse grisaille helvétique dont les critiques ont parlé à propos de nos films, c'était aussi la grisaille du 16 gonflé! Il est bien évident que le Groupe 5 a depuis subi l'évolution du cinéma suisse. Faire des films comme nous les avons faits au début est impensable maintenant. C'était du sacrifice pur!

Certains ont été surpris de vous voir passer sous la houlette d'un producteur?

Le problème qui se pose maintenant — et qui ne se posait pas avec les petits budgets — c'est toute l'organisation d'un film, de sa production à sa diffusion. Alain, qui a un sens assez poussé de l'administration, a pu s'occuper seul de ses premiers films. Mais il a fini par être dépassé par la paperasserie. Il fallait trouver une solution. Actuellement, en Suisse romande, il n'y a qu'une maison de production qui soit structurée et outillée pour fonctionner correctement, c'est Citel-Films, à Genève. Michel et moi y sommes passés les premiers. Alain nous y a rejoints... Sur le plan pratique de l'organisation, avec les budgets qui sont maintenant entre nos mains (près du million pour mon prochain), un seul homme ne peut plus maîtriser la «machine». Cela dit, nous essayons pourtant de réduire au maximum nos budgets afin de diminuer les pressions directes ou indirectes que peut exercer sur nous le système. Dès qu'on dépasse les 150 000 francs, on est déjà dans le système. Du reste, autant il serait absurde de se confiner dans une sorte de cinéma de laboratoire, autant il serait dangereux de tomber dans le piège de la grande production. Ce que nous pensons tous les trois, c'est qu'il est fondamental que les budgets soient adaptés à nos films, et non pas l'inverse!

Ne va-t-on pas considérer pourtant dans certains milieux que vous «passez à l'ennemi»?

Est-ce que Fernand Léger passe à l'ennemi quand il peint des fresques au lieu de faire des lithos? En réalité, notre évolution est celle d'un peintre qui passe du fusain à la peinture à l'huile! Au départ, nous avons tous tourné en 16 mm gonflé noir-blanc. Il n'y a guère plus d'un an, Michel et Alain ne concevaient pas de tourner en 35 mm couleur. Mais il n'y a aucune raison de se faire un point d'honneur à ne tourner qu'en 16. Personnellement, je ne souhaite nullement ne réaliser désormais que des films à gros budgets. Après le film dont je suis en train d'écrire le scénario, je reviendrai justement au 16 pour une fiction-documentaire sur les travailleurs étrangers, sans acteurs professionnels. Il faut toujours utiliser l'outil le mieux adapté à ce qu'on veut exprimer. Moi qui lis des scénarios pour la commission cinéma de la Confédération, je me suis rendu compte que des gens qui n'ont jamais rien tourné proposent des budgets qui dépassent les nôtres. Or, il me semble ridicule de faire un premier film avec 600 000 francs. C'est prendre vraiment trop de risques...

De jeunes cinéastes indépendants vous reprochent d'avoir fait du Groupe 5 un domaine réservé...

Nous avions proposé à la TV d'utiliser un des budgets prévus pour le Groupe 5 pour financer quatre courts-métrages de jeunes réalisateurs. Nous avons essuyé un double refus: refus des jeunes qui nous ont accusés de parternalisme, refus de la TV qui ne souhaitait pas prendre de risques avec des jeunes n'ayant pas «fait leurs preuves»... D'autre part, nous avons demandé à Yves Yersin d'entrer dans le Groupe. Mais il a fini par décliner notre offre, ne voulant pas traiter avec la TV, en tant que membre de Groupe 5, alors que lui estimait qu'il revenait à l'Association suisse des réalisateurs de traiter avec la TV. Ce qui peut se défendre. A un certain moment, par ailleurs, nous avons refusé de devenir une sorte de bureau de lecture qui déciderait des mérites de tel ou tel jeune cinéaste. La TV aurait souhaité que les projets passent par nous. Mais il n'y avait aucune raison que nous assumions ce genre de responsabilités. Ce qui nous paraissait nécessaire, c'était de pousser ou de cautionner un certain nombre de jeunes réalisateurs...

Vers une relève

Du côté des «indépendants», précisément, on se montre assez critique vis-à-vis des «caciques» du Groupe 5. Marcel Leiser, notamment, le réalisateur de Nathalie Ciné-Roman, qui vient d'achever deux courts-métrages: Le Bonheur à 70 Ans et La Dame de la Véranda, pour lesquels il a reçu 20 000 francs de Berne.

Le Groupe 5, dit-il, a adopté une politique un peu égoïste et confortable. Ne voulant pas prendre de risques, il ne s'est pas ouvert à la jeune génération. Entre eux, les membres du Groupe se sont serré les coudes, mais ils nous ont ignorés. Ou alors ils ont eu des attitudes paternalistes. Ils convoquaient de jeunes cinéastes et les interrogeaient comme des profs. Il est vrai que notre cinéma témoigne d'une vision différente de la leur. Et puis la TV naturellement ne souhaitait pas encourager les cinéastes indépendants dont l'idéologie, en général, ne coïncide pas avec la sienne!

De Claude Champion et Yves Yersin, longtemps orientés vers la Suisse alémanique, et qui tentent un retour au pays natal, nous pourrons voir prochainement, du premier Marie Besson, un moyen-métrage commencé en 1971, du second La Passementerie. Le Veveysan Jean-François Amiguet a tourné l'automne dernier un moyen-métrage de 50 minutes intitulé Prolongation: l'itinéraire particulier d'un couple mêlé à un thème socio-politique. Coproduit par les Films du Loup à Lausanne et Milos-Films SA, il marque une étape dans la production suisse, ayant bénéficié pour un tiers de son budget de la première aide aux débutants accordée par la Confédération (15 000 francs). Produite dans les mêmes conditions, la réalisation en 16 mm couleur que vient d'achever Marcel Schüpbach, Claire au pays du Silence (avec Claire Dominique) pourrait compléter au programme le film précédent.

A l'ombre (encombrante?) du Groupe 5, d'autres cinéastes — formés pour la plupart par la TV romande — passent à la réalisation de leur premier long-métrage. Ou bien en rêvent. Yvan Butler, avec La Fille au violoncelle (une coproduction franco-suisse de 900 000 francs) a réussi à se concilier les faveurs d'une critique parisienne en proie à ses snobismes et à ses fantasmes. Pour Les Vilaines Manières (une coproduction Citel-Planflim en 35 mm noir-blanc de 300 000 francs), Simon Edelstein a bénéficié de ses expériences de chef-opérateur des films de Soutter.

La situation des cinéastes de ma génération, dit-il, est un peu paradoxale. D'une part, nous profitons des efforts de ceux qui ont réussi malgré toutes les embûches à faire leurs films. Mais d'autre part, notre responsabilité est plus grande, car nous bénéficions de moyens plus importants qu'eux à leurs débuts... Ce qui n'empêche pas mon film de s'inscrire formellement dans la tradition des films suisses pauvres! J'ai tourné en 35 avec des moyens de 16.

Sans producteur, ni aide de la TV ou de la Confédération, Christian Mottier, réalisateur à la TV romande, a achevé il y a trois mois son premier film de fiction, Smog. Petit budget, équipe réduite. Dans des conditions similaires, Bernard Romy, lui aussi réalisateur à la TV, s'apprête à son tour à tourner un scénario de sa composition — après avoir soumis à Berne l'année dernière un autre scénario jugé financièrement (et politiquement?) trop ambitieux. Son Cœur froid racontait en effet l'aventure d'une famille juive française pendant la guerre qui ayant tenté de se réfugier de l'autre côté du Jura, se voyait refoulée par la police suisse, avant de tomber entre les mains de la Gestapo...

ZUSAMMENFASSUNG:

Michel Boujut zieht eine Bilanz des «Groupe 5» zum Jahresbeginn, fragt insbesondere danach, ob die Gruppe überhaupt noch einen genügenden Daseinsgrund hat. Der Artikel stellt zumal auf ein Gespräch mit Claude Goretta ab, aus dem hervorgeht, dass sich die Mitglieder der Gruppe selber fragen, ob es nicht besser wäre, sie aufzulösen. Das Gespräch führt sodann auf das heikle Thema der Beziehungen zwischen dem «Groupe» und andern, jüngeren Filmemachern der Westschweiz.

Michel Boujut
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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