CLAUDE VALLON

NOUVELLES VARIATIONS SOUTTÉRIENNES

CH-FENSTER

Deux attitudes caractérisent fondamentalement la littérature romande: le lyrisme et le moralisme. Peu ou pas de romanciers dans le sens le plus strict du mot. Des conteurs certes, mais glissant très vite vers le mysticisme ou les préoccupations essentiellement régionalistes. Des poètes en abondance, comme si le chant était la forme la plus naturelle de l’expression, par ses allures à la fois impersonnelles et profondément personnelles, et niant surtout le rapport direct, le contact immédiat; épurant tout en libérant. Attaché à la terre, à un degré ou à un autre, le Romand se méfie des mots tout en aimant passionnément ce qui est derrière eux. Il se sert volontiers de clichés et de lieux communs dans le temps où il veut échapper et être présent à la fois, quoique ce soit tout à fait contradictoire.

Soutter est des nôtres: sensible à tous les mouvements de la nature autant qu’aux luttes engagées pour en accepter les contrariétés. Aussi brillants que soient les paysages, aussi jolies qu’en soient les courbes et les arêtes, il reste que l’homme n’y fait que passer. Ce transitoire, qu’accentue le poids lourd et quasi immuable des traditions, rend la condition pour être, difficile, pénible, insupportable, sauf si l’on se prend pour l’araignée tissant sa toile et qu’on ne demande jamais si son activité a un but.

Le Romand est suicidaire, à des degrés divers. Il remonte son temps, qui est aussi son tempo, comme on remonte sa montre. Machinalement, inexorablement. L’engrenage vient-il à casser, l’horizon à se voiler, qu’il est pris du vertige de durer plus que les éléments et de devoir mesurer à l’éternité son angoisse. Il aspire à un moment ou à un autre à se confondre avec la beauté qui le défie, à n’être plus qu’un coin de la terre qui continuellement le nargue... L’Escapade, suivant l’itinéraire propre de Soutier, s’accroche à l’espoir: un enfant, dont on ne sait qui est exactement le père, et fruit d’un entrelacs de situations — les plus terriblement légères quand on les considère à la loupe des conventions — mais significatives d’un désarroi (la solitude). La terre commande qu’on s’attache à elle le nez greffé sur sa machine ou sur son outil, en vue d’un résultat. Le travail — qui pour la première fois chez Soutter prend une forme visible — commande la même discipline. Mais l’homme dans tout ça? Ou il trime pour remplir son contrat, ou il pense à lui, s’égare, s’arrête, s’interroge...

Les personnages de Soutter sont en interrogation, tandis que le train quotidien des choses passe. Cette interrogation pourrait porter sur le travail même, sur la société qui le demande, elle porte tout simplement, et par rejet, contre les autres. Paul éprouve le besoin de fuir. Il maniera le mensonge, seule issue dans un monde parfaitement clos dans ses paysages comme dans ses mœurs. Anne l’imitera à un autre niveau, selon une autre tentation: la compensation. Pareillement feront Auguste et Virginie. Ferdinand étant la seule inconnue de l’équation, bien qu’il en soit une clé. A quarante ans, il doit donner son congé à la vie. Virginie lui offre dans la personne d’Anne une raison de ne pas perdre l’espoir...

L’espoir de quoi? Est-ce l’enfant, fruit d’un amour chahuté, qui va résoudre l’angoisse devant la gravité d’une Nature inébranlable?

Cet espoir, n’est-ce pas plutôt la conquête d’une attitude, d’une qualité d’émerveillement, d’une sagesse rétablissant l’accord avec l’environnement, avec la terre, et par voie directe de conséquence avec les autres. Voyez Auguste, purifiant les écarts de conduite de Virginie, en brûlant ses habits: une petite fumée bleue!...

Soutter nourrit l’espoir romantique d’un réconciliation entre l’individu pris dans son fourmillement quotidien et son entourage, au-delà de tous les mythes et de toutes les idéologies, dans une espèce d’élan vital, proche de l’instinct, généreux et pudique.

Ses personnages manient le mot, comme une arme à la fois défensive et offensive. Ce qui constitue cet humour à la fois grinçant et éclatant: «Je ne suis pas complètement cou», dit Auguste revenant sur ses pas quand il a récupéré les affaires de Virginie dans la chambre de Paul. Il anticipe sur la pensée de son interlocuteur en même temps qu’il se rassure.

Ce sont là les deux mouvements de balance du film, oscillation qui touche les sentiments comme les inclinations, le temps, les paysages, les séquences. Bas et haut, gauche et droite, étroitesse et largeur, brièveté et longueur. Tout cela musicalement selon la respiration de Soutter qui est à l’image du pays: mélancolique et douce, calme et nerveuse. Rentrée, même dans ses accents les plus frénétiques. Toujours maîtrisée, jamais relâchée. Tout se tient et s’imbrique comme les touches d’un tableau, construit coin par coin, jusqu’à l’image finale que seul connaît l’auteur, et dont nous pouvons approcher seulement, les nuances nous échappant souvent. Un lyrisme terrien, comparable aux peintres et poètes d’ici.

L’Escapade est plus limpide que Les Arpenteurs, moins chargé de brouissaille. C’est un champ aux lignes claires, où il est possible cependant de s’égarer davantage, en en refusant les proportions. A la notion intimiste du propos répond la chaleur, la suavité de l’image. Mais les signes sont normalement traditionnels, encombrants: le train s’enfouit, se blottit entre deux talus, la scène d’amour libère le paysage grandiose de la plaine vue des Rasses, la valise cache Virginie, la chemise de nuit libère le mont de Vénus d’Anne, etc. Là parle Soutter, comme s’il s’agissait des rimes d’un poème, avec une ferveur naïve et un brin gênante. Ces bruissements dont il habille ses toiles r*artitipent d’une vision littéraire, d’une volonté d’accentuer le jeu, qui tout en étant savamment dosée, me paraît cliquetis seul, comme si tout à coup le contenu de l’image n’était pas de la même tonalité que son apparence, comme si la gravité du propos se contredisait gaminement, sans rigueur, pour la farce (thème à développer d’ailleurs!). Parvenu à ce stade d’authenticité, où il se dévoile, Soutter par pudeur, par timidité, accentue la tricherie, par quelques coups d’épaté, qui se marient moins bien avec l’ensemble. Il y a aussi au niveau des dialogues comme des bavures, difficiles à admettre dans le contexte. Il y a surtout des inégalités de force dans les séquences, qui tout en s’équilibrant, devraient sous-tendre le même souffle. Or, on ne parvient jamais à appréhender le film dans une globalité, on en retient des parcelles, équivalant à de bons ou de grands moments. La séquence du repas d’anniversaire de Ferdinand en est une. Les scènes de couple (Paul et Anne) me semblent plus fabriquées, moins naturelles.

Le mot est peut-être dit: les comédiens ont à chercher par delà un dialogue littéraire, sans en nier toutefois les accents un jeu naturel et quasi spontané. Performance à laquelle excelle Jean-Louis Trintignant et (cela va surprendre) Antoinette Moya. Alors que les autres Marie Dubois, Philippe Clevenot et Georges Wod sont plus souttériens, suscitant des énigmes (dévoilables en partie). Mais que voulait le réalisateur? L’un (qui représente le nouveau Soutter en mue et le pousse vers quelque réalisme poétique et l’autre l’ancien Soutter (plus novateur mais plus hermétique). Son choix sera peut-être l’objet du prochain film.

Mais comment nier la qualité d’émotion qui se dégage de L’Escapade? Et la manière d’assurance que gagne Soutter?

NEUE SOUTTER-VARIATIONEN

Claude Vallon deutet, nachdem er Michel Soutter seinen Platz unter den westschweizerischen Poeten zugewiesen hat, L’Escapade als einen Wink, die Hoffnung nicht aufzugeben, mehr noch: neue Hoffnung zu schöpfen, vorab auf ein Wieder-sich-Zurechtfinden in der Welt und unter den Menschen. Eine weder ideologische noch mythologische Zuversicht wird da empfohlen, sondern ein dem Instinkt naher «Elan vital». Soutters Stil in diesem Film vergleicht Vallon mit einem prekären Balanceakt zwischen Extremen jeder Art. Gerügt wird jedoch eine gewisse Uneinheitlichkeit in der Stärke der einzelnen Sequenzen, die dazu führt, dass der Film nur schwerlich in seiner Gesamtheit erfassbar wird.

Claude Vallon
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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