MICHELINE L. BÉGUIN

CINÉMA FLAMAND

ESSAY

Portrait Robot

Dans une certaine mesure, tous les films belges flamands se ressemblent. Il est donc possible d'en dresser le portrait-robot:

— à la base, l'œuvre écrite d'un auteur connu et beaucoup lu aujourd'hui encore, qui raconte une histoire du passé proche ou lointain avec les sentiments du passé;

— cette matière littéraire étant estimée assez riche, il n'est plus nécessaire de s'y attarder longuement. Aussi est-elle adaptée avec une grande fidélité à la lettre, de la paresse dans récriture des dialogues qui restent fort sommaires alors que le scénario manque d'imagination visuelle et gestuelle;

— les acteurs qui viennent souvent de la scène ont parfois une diction un peu déclamatoire. L'absence de son direct et un manque d'habitude de la post-synchronisation renforcent cette impression de théâtralisation un peu déplacée;

— mais ils portent de très beaux vêtements créés par des costumiers qui connaissent bien le passé, tout particulièrement celui de la peinture dont le cinéma, par la composition des plans et le jeu des couleurs, s'efforce de recréer l'ambiance;

— il y a présence plastique des peintres, mais aussi leur esprit, surtout la truculence, la kermesse flamande pas toujours héroïque chez les anciens, avec une sorte d'anachronisme qui rend fréquent les hommages aux surréalistes comme Magritte et Delvaux, pour citer comme d'habitude les plus connus et oublier les autres;

— les personnages sont de paysannerie confortable, de bourgeoisie sans problème, avec quelques pauvres, victimes indispensables au mélodrame et â ses excès.

— tout cela se passe dans les décors réels riches et beaux, dans des grands parcs avec allées d'arbres splendides, devant les tables bien garnies autour desquelles on prend place souvent pour manger et boire les produits d'une terre généreuse.

Ceux qui ressemblent au portrait

Quand les défauts de ce portrait s'accumulent, nous obtenons des films tels Het Dwaallicht ou Wondershop de Franz Buyens, Rolande de Verhaevert, où tout vole bas, racle le sol. Quand qualités et défauts s'équilibrent, cela donne Mira de Fons Rademakers qui fut, il y a quelques années, un immense et semble-t-il plutôt mérité succès public.

On devine pourtant chez quelques-uns une certaine gêne devant le carcan du film, indispensable pour obtenir l'argent du ministère. Certains dirigent alors leurs acteurs avec une sorte de frémissement «godardien» (comme Nikolaï Van der Heyde le fait avec Barbara Seagul dans Angela) ou introduisent en fraude dans leur scénario des comportements ou des sentiments un peu plus modernes, ce qui provoque d'étranges anachronismes car il ne s'agit pas du passé pour faire comprendre le présent — démarche de l'historien — mais du présent que l'on insère arbitrairement dans le passé pour vaincre son propre ennui (on peut citer le même film, bien que les Belges considèrent Angela comme une coproduction où la Hollande prit le dessus).

Harry Kümel, le «traitre»...

Otons maintenant presque tous les défauts du portrait-robot, et nous obtiendrons un grand film sous-estimé — nous verrons pourquoi — le Malpertuis d'Harry Kumel, belge à double culture, plus anversois que flamand.

Il fut premier de classe en sa jeunesse, ayant gagné des concours d'amateurs — ce qui permet de dire à ses ennemis qu'il reste le premier amateur du pays. Monsieur Hawarden, qui date de 1968, répond bien au portrait-robot, malgré le noir/blanc, les qualités étant plus nombreuses que les défauts. Le film rafla de multiples prix dans nombre de festivals. Kumel put alors réaliser avec de bons moyens et une aide américaine un film de divertissement glauque et drôle, Les lèvres rouges, parodie presque chabrolienne du film de terreur, conduit en grand professionnel avec une équipe internationale d'acteurs. Kumel devenait un traître à la «patrie» puisque son film n'était plus flamand. Ce fut seulement un succès presque mondial.

Vint alors Malpertuis, avec Orson Welles, Susan Hampshire, Mathieu Carrière, Michel Bouquet, Jean-Pierre Cassel, et tout de même un ou deux acteurs belges, un musicien français, Georges Delerue, un opérateur américain, Gerry Fischer, un sujet belge, oh combien, d'après une nouvelle de Jean Ray, une co-production belgo-franco-américaine et argent du ministère flamand.

Kiimel accepte ce type de cinéma volontairement. Pourquoi pas Welles si cela doit servir la carrière du film, un Welles avec lequel il eut d'homériques combats, mais qui finit par faire ce que le cinéaste voulait et établir des liens d'amitié. Pour lui: «L'essentiel, c'est d'avoir un bon acteur; quand je filme une cuillère, c'est ma manière à moi de filmer cette cuillère... Welles ou pas Welles». Delvaux refuse de travailler avec des acteurs qu'on tente de lui imposer — Kiimel accepte car M organise le plan non par l'acteur, mais autour de lui. Il joue le jeu du cinéma commercial un peu à raméricaine, veut plaire au plus large public comme Chabrol son ami auquel il «emprunte» des acteurs, comme Hitchcock, comme surtout Sternberg qu'il admire le plus au monde. On peut faire ces choix tout en restant soi-même.

A Cannes, en 1972, Malpertuis dans sa version anglaise fut plutôt mal accueilli, puis la carrière du film suivit, décevante. Seulement, voilà: on peut avoir envie de filmer une cuillère à sa manière. H se peut qu'on vous impose une fourchette et qu'on ait aucune envie de la filmer. Kumel se fit imposer un monteur américain trop respecté car il venait de «la» production. Il tourne ses films en pensant à son montage. Son monteur qui travailla dur pour être prêt à temps, fit un montage réaliste où l'auteur ne reconnut point son film. Il était trop tard, engagements pris pour Cannes. A force d'acharnement, Kumel obtint le droit de monter seul la version flamande, avec une entière liberté. Ce qu'il fit, en près d'une année de travail, avec des secondes prises, car les premières figuraient dans le négatif de la version anglaise. Malpertuis disposa d'un budget de plus de deux millions de francs suisses: Kumel a accompli un exploit remarquable, celui d'être mal payé ou pas du tout pour une partie de son travail.

Malpertuis, un grand film flamand

Anecdote? Oui, mais significative — Kumel n'est pas le «vendu» international que certains l'accusent d'être dans son pays. Sa version à lui de Malpertuis, dans le montage des deuxièmes prises, a un défaut majeur: elle est trop courte. Kumel n'a pas pu ou su y mettre les temps morts, les moments de calme qui permettent de respirer, d'attendre, de reprendre son souffle pour mieux partir à la suite des personnages, à la poursuite des rêves, sur les traces du marin emprunté à Jean Ray.

Car son imagination est grande, déjà dans la manière de détourner les acteurs de leur emploi habituel pour faire de Sylvie Vartan une Marlène blonde de boui-boui, demander à Cassel de jouer les héros de la mythologie, tapi sous l'escalier, avec lanterne et gueniles, qui finira dévoré par un aigle, et surtout par l'emploi de Susan Hampshire, dans trois rôles, trois fois femme, trois images différentes, méconnaissable, étonnante en vieille fille perverse, en fifille charmante, en femme étrange et mythique aux yeux extraordinaires.

Une fois femme de rêve (mais la fifille charmante est aussi la sœur du marin), une fois produit de l'imagination (vieille fille perverse), enfin résultat des fantasmes, ces mélanges de réalité aboutissent au surréel fantastique.

Il y a un château, dans un grand parc, des gens étranges qui viennent attendre la mort de l'oncle (Orson Welles) et sa fortune, ce dernier bien décidé à les faire co-habiter au milieu d'une domesticité de grognons, guettés par le chercheur fou, aux inventions morbides.

Mathieu Carrière, le marin, celui qu'on attend, qui arrive, d'une beauté diaphane, aux cheveux non blonds mais pâles, qui cherche toujours quelque chose ou quelqu'un, poursuit la femme-amante-sœur, fil conducteur qui parcourt tout le film.

Des portes s'ouvrent sur de longs couloirs sans fin, sur une rue de rnarins où veille une sorte de policier (Michel Bouquet) — c'est chaque fois la surprise — encore le reflet d'une vive imagination «sternbergienne». Et quand on se retrouve dans la pièce centrale, temps suspendu semble-t-il, quelque chose a changé — le tricot de noir est devenu jaune, la lumière a baissé. Sur la dernière porte qui s'ouvre apparaît un cul-de-sac, le mur, pourquoi pas, de l'hôpital psychiatrique.

Malpertuis, détesté en Belgique, accusé d'internationalisme, est le meilleur film flamand de ces dernières années, le passage réel/imaginaire se produisant à l'extérieur des personnages, dans l'imagination du cinéaste et dans l'accueil du spectateur, non à l'intérieur du plan et du personnage comme chez Delvaux. On peut être volontairement orienté vers le cinéma commercial à grand spectacle sans renier les racines de sa culture.

FLÄMISCHER FILM

Die belgisch-flämischen Filme ähneln sich alle in ziemlich auffälliger Weise. Ein Robotbild: Berühmte oder doch bekannte literarische Vorlage; wörtliche, nicht sehr phantasievolle Umsetzung in Film; viele Darsteller von der Bühne und deshalb ziemlich deklamatorisch; schöne Kostüme, Inspiration durch die flämische Malerei von der Renaissance bis zu den Surrealisten; dasselbe gilt für die manchmal aussergewöhnlich gepflegten Dekors. Kumulieren sich die Schwächen eines solchen Konzepts, kommen Filme wie Het Dwaallicht oder Wondershop von Franz Buyens und Rolande von Verhaevert zustande. Findet einer ein persönliches Gleichgewicht der traditionellen Elemente, macht er etwa Mira (Fons Rademakers).

Manchmal «modernisiert» ein flämischer Autor ein bisschen, aber es resultieren oft ziemlich obstruse Anachronismen. Vergangenheit wird nicht mit heutigen Augen gesehen, sondern Heutiges in vergangene Kostüme gesteckt, zum Beispiel in «Angela» von Nikolai Van der Heyde.

Der bedeutendste, wenn auch der am meisten angefeindete unter den flämischen Filmemachern ist zweifelsohne Harry Kümel. in Belgien wirft man ihm vor, er habe sich «den Amerikanern verkauft», habe sich vom System auffressen lassen. Das ist aber nicht der Fall. Schon Lèvres rouges zeigte, dass Kümel auch mit amerikanischem Geld belgische Sachen machen konnte. Und das gleiche gilt für Malpertuis (1972). Die internationale Version dieses Films nach Jean Ray mit Orson Welles, Mathieu Carrière, Susan Hampshire, Jean-Pierre Cassel und Michel Bouquet in den Hauptrollen hat zwar enttäuscht. Sie ist von einem Cutter der Produktionsfirma zusammengezimmert worden. Harry Kümel hat aber alles daran gesetzt, auch seine Version fertigstellen zu können. Erst in der flämischen Version zeigt Malpertuis die Handschrift eines Autors, der die Vorwürfe eines billigen «Internationalismus» nicht verdient. Eher schon die Bewunderung für seine Fähigkeit, seine kulturelle Herkunft auch in einer internationalen Crew nicht zu verlieren (wenn man sie ihm nicht nachträglich stiehlt). (msch)

Micheline L. Béguin
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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