FREDDY LANDRY

LA CINÉMATHÈQUE ROYALE DE BELGIQUE

ESSAY

Se frayer un chemin dans l'immense chantier qu'est devenu Bruxelles permet d'accéder tout de même à la place Royale. Au premier passant puis au deuxième huissier du premier musée, vous demandez où se trouve la cinémathèque. Votre accent non-belge vous vaut des réponses en français: «sais'pas». Finalement, à cent mètres de là, vous trouvez, un quart d'heure trop tard. Derrière ses célèbres verres de lunettes, Jacques Ledoux sourit: il ne sait pas si vous êtes en avance ou en retard.

Vous annoncez la couleur: la cinémathèque suisse est très pauvre — Ledoux le sait. Celle de Belgique semble riche: quelques comparaisons doivent permettre de faire monter la honte sur les fronts officiels suisses!

Pas très d'accord, Ledoux! Lui aussi a ses problèmes. Et pas faciles à résoudre. Si «Lausanne» est pauvre parmi les pauvres, Bruxelles est riche parmi les pauvres ou pauvre parmi les riches. Un petit résumé réglera d'emblée ce problème important pour les uns et les autres:

Londres, 300 employés, dix millions de francs suisses d'aides. Angleterre, 45 millions d'habitants — 22 cts par habitant..

Bruxelles, 20 à 25 employés, à peu près un million deux cent mille francs suisses d'aide. Belgique, dix millions d'habitants — 12 cts par habitant.

Lausanne, 5 employés, cent mille francs suisses de subvention fédérale et cent mille francs suisses d'aides cantonales, en tout, 200 000 francs. Suisse, 6 millions d'habitants — 3,3 par habitant.

Nous proposons à J. Ledoux trois chapitres. Son récit continu sera entre-coupé de dialogues à parenthèses et de quelques conversations téléphoniques. En voici les résultats sans les guillemets de la citation fidèle...

Un peu d'histoire et quelques chiffres «Secs»

La Cinémathèque Royale de Belgique fut fondée peu avant la guerre, en partie selon le modèle esquissé à Paris par Langlois. La guerre finie, les maigres collections avaient disparu. Tout était déjà à refaire. La continuité fut assurée par la présence de personnalités comme MM. Pierre Ver-meylen, devenu ensuite ministre, Henri Storck, André Thiri-fays, encore présents. J. Ledoux, qui se promenait en culottes courtes dans les locaux depuis quelques années, assume les plus grandes responsabilités depuis 1945.

Pour commencer, la Cinémathèque se «débrouille» avec les bénéfices d'un important groupement, «L'Ecran du séminaire des arts», qui comptait six mille membres. Une petite subvention de cent mille francs belges lui est ensuite octroyée. Peu à peu, elle atteint le million, en 1965, année où se confirment d'immenses difficultés qui conduisent les animateurs à la limite de l'abandon. La subvention de l'Etat passe alors de un à cinq millions de francs, (cinq millions de francs belges = quatre cent mille francs suisses) Elle sera, en 1975, de douze millions, mais l'inflation gourmande dévore en bonne partie les augmentations. Et il faut maintenant se battre pour que la subvention «réelle» ne diminue pas.

20 à 25 personnes, personnel permanent ou temporaire, travaillent pour la cinémathèque dans les différents services.

Champ d'activité

Les collections

Quinze mille titres, peut-être dix, ou vingt-cinq: M. Ledoux ne le sait pas très bien. Car le service du catalogue dispose de trop peu de personnel — une ou deux personnes à mi-temps depuis deux ans. Identifier les films, s'ils ont été doublés, si les titres sont changés, comparer des versions différentes pour reconstituer des copies complètes, tout cela relève de la véritable archéologie. Puisqu'il n'y a presque personne pour le faire, on commence par le plus difficile: le court métrage ancien.

Tous les distributeurs et producteurs belges ou presque déposent leurs films à la Cinémathèque, sans y être obligés. A cette attitude de bonne volonté répond une mise au point légale rigoureuse des contrats de dépôt. Tous les films sont acceptés.

Trop de films sont dans un état critique: il faut les sauver. Il est nécessaire, non de faire des choix, mais d'établir des priorités. On se laisse alors un peu guider par les besoins du Musée du cinéma. A l'aide de subventions spéciales, il vient d'être possible de tirer copies neuves et copies d'originaux d'une cinquantaine de films anglais, cinéma qui fit l'objet d'une importante manifestation en 1974.

La collaboration entre cinémathèques devrait permettre de créer une sorte de «bourse» aux internégatifs pour ne pas faire le même travail à deux endroits différents. Comme presque tout le monde est mal organisé... cela relève un peu du rêve.

Le Musée du cinéma

Le Musée du cinéma présente 125 films par mois, dans une petite salle de cent places, occupée en moyenne à 75 °/o par un public composé surtout de jeunes qui se renouvelé constamment, les places étant fort bon marché (de 1 fr. suisse pour les habitués à 2 fr. pour certaines séances). Cinéastes et journalistes ne le fréquentent guère.

Trois personnes travaillent en permanence pour établir très librement la programmation, assurer les projections et l'entretien de la salle.

Le Musée touche une subvention annuelle de 2,5 millions de francs belges. Elle est insuffisante: c'est la Cinémathèque qui prend en charge le déficit de l'ordre de un rnidion de francs.

Le service national des Ciné-Clubs

Avec une subvention annuelle de six cent mille francs belges (50 mille francs suisses), le service national des ciné-clubs achète les droits de quelques films qui ne sont pas pris en charge par les distributeurs traditionnels et les fait circuler à des prix modiques dans les CC, les maisons de culture, les écoles, etc.. Il représente en quelque sorte l'ouverture de la cinémathèque vers l'extérieur.

Actuellement, il bat de l'aile. Voici pourquoi: il y a une dizaine d'années encore sévissait une censure catholique fort sévère qui proscrivait de multiples films que le service national des CC se devait de proposer à ses fidèles (le Godard des débuts par exemple). Or la censure catholique est devenue plus libérale. La télévision se met parfois à montrer des films «difficiles». Les limites de la prospection se rétrécissent. Le nombre de plus en plus grand de films tournés en couleurs augmente le prix des copies.

Le service national des CC est donc à la recherche de son deuxième souffle. Il pourrait le trouver en signant des contrats pour la diffusion de films classiques, qui marquent l'histoire du cinéma. Les problèmes légaux sont parfois difficiles à régler.

Knokke

C'est la cinémathèque qui organise de temps en temps ce festival du film expérimental, avec une subvention gouvernementale extraordinaire.

Tels sont les champs d'activités économiques, muséo-graphiques et culturelles couverts par la cinémathèque royale de Belgique et les organisations qui lui sont liées.

La cinémathèque et le cinéma Belge

L'Annuaire du film belge

Tiré à deux mille exemplaires chaque année, répandu dans les milieux du cinéma, dans les ambassades, cet ouvrage petit format comprend environ huit cents pages d'informations denses (Production, distribution, exploitation, presse/ organismes culturels belges/organismes internationaux en Belgique/commissions et services ministériels belges/ festivals et prix/bibliographie/textes légaux et statistiques/films de cinéma/films de télévision/index des noms/index des films par titre et par sujet). Il est subventionné à raison de trois cents mille francs belges par le ministère des Affaires économiques et préparé, édité par la Cinémathèque qui doit prendre en charge son déficit.

Le festival permanent du cinéma belge

Chaque mardi en principe, le Musée du cinéma présente des films belges, en avant-première. Rares sont les producteurs qui acceptent de «lancer» leur long métrage au Musée du Cinéma. Par la force des choses, ce festival permanent est réservé au court métrage. H est bien fréquenté, mais pas assez par les cinéastes qui trop souvent ignorent les travaux de leurs collègues.

Conservation de la production nationale dans sa totalité

Une cinémathèque doit conserver tous les films nationaux. Tous. Et dans un état qui permette si nécessaire un jour de tirer de nouvelles copies. Or, quantitativement, ces dernières années, le cinéma belge vient d'exploser — au seul Dixième Festival, il y avait cent vingt heures de projection, donc soixante par année. Et nombre de films de télévision et des documentaires de voyage manquaient. Hier, les films peu nombreux étaient tournés en noir et blanc. Aujourd'hui, beaucoup apparaissent en 16 ou en 35 couleurs. Les coûts de conservation explosent, eux aussi.

La cinémathèque ne peut plus faire face à cette tâche. Elle est à la recherche de moyens, six à dix millions de francs belges par année, pour «sauver» le cinéma belge.

Au fond, une cinémathèque rend les services qu'elle peut avec l'argent mis à sa disposition. Sa principale activité reste la conservation des films et la documentation. Pour ce travail, pour le Musée du cinéma, le service national des ciné-clubs, l'édition de l'annuaire, la cinémathèque royale de Belgique espère obtenir en 1975 environ quinze millions de francs belges de subvention (1,2 millions de francs suisses).

Pour les actions particulières (hommage à un cinéma national au Musée, festival de Knokke, conservation du cinéma belge), elle obtient des crédits extraordinaires des différents ministères.

Oui, une cinémathèque rend les services qu'elle peut avec l'argent mis à sa disposition. Car le seul enthousiasme des hommes passionnés comme Ledoux n'y suffit plus.

(Résumé d'une conversation avec Jacques Ledoux.)

DIE KÖNIGLICHE BELGISCHE KINEMATHEK

Die Cinémathèque royale de Belgique scheint reich zu sein. Jacques Ledoux, ihr Leiter ist nicht einverstanden: Wenn Lausanne arm ist unter den Armen, dann ist Bruxelles arm unter den Reichen (oder reich unter den Armen). In Zahlen: England bezahlt pro Einwohner 22 Rappen in sein Filmmuseum ein; Belgien 12 Rappen pro Einwohner; die Schweiz (Bundessubvention pro 1974: 100 000 Franken/Kantonale Subventionen pro 1974: etwa 100 000 Franken) ganze 3,3 Rappen.

Die belgische Cinémathèque wurde kurz vor dem Zweiten Weltkrieg nach dem Muster der Pariser Cinémathèque gegründet. Seit 1945 ist Ledoux praktisch Leiter des Unternehmens. Zunächst funktionierte es dank der Einlagen der Filmklubs, dann kamen die Subventionen, die im Jahr 1975 rund 1,2 Millionen Schweizerfranken betragen werden. 20 bis 25 Personen arbeiten in der Institution, ganz- oder halbtags.

Ledoux meint, dass heute in seinem Institut rund 15 000 Titel liegen; genau weiss er es nicht, denn der Katalogdienst ist nicht sehr stark besetzt. Fast alle belgischen Filmverleiher und Produzenten deponieren ihre Filme; alle Filme werden angenommen. Viele Kopien sind auch hier in einem lamentablen Zustand; aber Spezialkredite stehen für Neukopierungen zur Verfügung.

Das «Filmmuseum» (Projektionssaal mit etwa 100 Plätzen) projiziert etwa 125 Filme pro Monat; es ist im Schnitt zu 75 Prozent belegt. Die Besucher bezahlen einen oder zwei Franken Eintritt. Drei Mitarbeiter betreuen das Programm. In diese Abteilung gehört organisatorisch auch der nationale Dienst der Filmklubs, der vom Staat mit 50 000 Franken jährlich unterstützt wird. Schliesslich wird auch das Festival von Knokke von hier aus organisiert.

Besonders zu vermerken: die Arbeit, die die belgische Cinémathèque dem belgischen Film widmet. Jedes Jahr erscheint hier das Jahrbuch des belgischen Films mit ungefähr 800 Seiten Information über die gesamte belgische Filmszene (von den Filmen bis zu allen kulturellen und wirtschaftlichen Organisationen). Jeden Dienstag führt das Filmmuseum belgische Filme vor. Und schliesslich werden alle belgischen Filme in der Cinémathèque archiviert, und zwar so, dass eines Tages auch neue Kopien gezogen werden können. Weil auch in Belgien die Filmproduktion (inklusive Fernsehen übrigens) explosionsartig zugenommen hat und weil die meisten Filme in Farbe (und immer häufiger auf 35-mm-Format) gedreht werden, steigen die Ausgaben der Cinémathèque rapide. Sie wird eine halbe Million Schweizer Franken mehr brauchen, um zu «überleben». Die belgische Cinémathèque archiviert die Filme, arbeitet für die Filmklubs, gibt ihr Jahrbuch heraus und bekommt dafür 1,2 Millionen Schweizerfranken. Für Knokke, für spezielle Veranstaltungen, für die Konservierung des belgischen Films bekommt sie ausserordentliche Kredite der betreffenden Ministerien. Eine Cinémathèque stellt jede Dienste zur Verfügung, für die die Mittel reichen. Der Enthusiasmus und die Leidenschaft von Männern wie Ledoux genügen nicht. (msch)

Freddy Landry
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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