CLAUDE VALLON

YOUGOSLAVIE — QUELLE VOIE? QUELLE RÉVOLUTION

ESSAY

Approche

L’approche du cinéma yougoslave exige nécessairement que l’on tienne compte des contradictions dans lesquelles se situe la société socialiste yougoslave, tiraillée entre son éthique révolutionnaire et ses dépendances économiques d’une part, entre son orientation, ses principes marxistes et ses préoccupations humanistes, sa «Weltanschauung» occidentalisée d’autre part, entre la discipline autoritaire du parti et la «débrouillardise» paysanne et terrienne enfin.

Dans ces circonstances, un art socialiste comme celui que peut désirer le comité central du parti et en tout premier lieu le maréchal Tito, subit une atténuation dans les interprétations comme dans les faits et s’accommode d’une série de nuances qui en augmentent les côtés insaisissables et encouragent la série de va-et-vient entre les positions dures de l’exécutif et les audaces des créateurs, opposés au système pour la raison souvent évidente qu’il est ressenti comme tel, et non comme l’émanation d’un pouvoir réellement populaire.

Peuple — art populaire

La première pierre d’achoppement réside dans la définition d’un cinéma populaire. S’agit-il de celui qui va plaire aux masses ou celui qui va les rendre conscientes du phénomène qu’elles sont en train de vivre et leur fournir les arguments pour s’y comporter? S’agit-il encore de celui qui est tout bêtement rentable?

Il est évident que le cinéma populaire qui rendrait compte des aspects révolutionnaires de la société devrait s’assortir d’une rigueur formaliste indiscutable. Donc qu’un tel cinéma tomberait très rapidement dans un dogmatisme étroit, à peine troublé par les dissensions au sein du parti. Or, dans une société qui manie aussi bien un intérêt pour les valeurs traditionnellement bourgeoises (tout en s’en méfiant) qu’une ambiton de réévaluation marxiste, le cinéma populaire subit les fluctuations de pensée de ceux qui le font autant sinon plus que les directives du pouvoir. Il est d’ailleurs difficile de parler de l’acquis historique quand celui-ci n’est pas intégré à une dynamique constante, mais se présente comme le rappel du souvenir d’une expérience vécue. L’authenticité du message souffre souvent de l’altération que la perspective historique a subie du fait que la prise en charge par le réalisateur ou l’artiste est liée à un contexte social et politique en constante contradiction.

On ne peut manifestement adhérer à la problématique des films dits populaires parce qu’elle ne commande pas une dramaturgie allant dans le même sens. Les méthodes de production, de réalisation, d’attribution des rôles, le jeu, etc. obéissent à des critères terriblement bourgeois qui en dénaturent les idées. Le public, certes, retient les événements, les lieux, les paysages, les hommes, et il lui suffit peut-être de cela pour voir confirmer son identité politique, mais cela paraît un argument bien mince pour justifier une ambition beaucoup plus fondamentale.

Il s’avère alors que le film populaire n’est révolutionnaire que par ses allusions et ses références, mais qu’il tire son succès d’attraits purement spectaculaires ou de pratiques liées à la commercialisation des films.

Critique sociale — critique de la société

C’est à ce moment-là que surgissent des intentions nouvelles chez les réalisateurs: des critiques liées à leur affirmation individuelle. Ils s’arment de toute une dialectique privée pour défendre un art personnel qui est l’expression de ce qu’ils ressentent à propos de tel ou tel événement connu ou inconnu. Ils deviennent des témoins éclairés d’un monde socialiste inconfortable, où les problèmes d’argent ont créé un cinéma révolutionnaire de façade, où les profits sont tout autant si ce n’est plus convoités que dans l’industrie cinématographique occidentale. Le court métrage et le documentaire, le théâtre ou la télévision, sont les cours où se prépare ce cinéma d’auteur. Or, le système qui tolère la surenchère dans la production traditionnelle assortie de thèmes nationaux, fait barrière quasi automatiquement en refusant d’investir dans des domaines où il discerne des préoccupations qu’il taxe d’individualistes. Mais les écueils sont contournés et la Yougoslavie des années septante va connaître un cinéma nouveau à l’égal de celui de tous les pays capitalistes agités par des mouvements de revendication plus ou moins gauchisants. Et l’interrogation va s’étendre à tout l’appareil de production de films, jusqu’à la définition du médium lui-même. Quand Tito et le parti s’inquiètent de certaines audaces formelles qui vont jusqu’à la dénégation de l’autorité, et qu’ils font fi d’un art contestataire, «noir» plus précisément, pour exiger une meilleure application des conquêtes du socialisme «à la yougoslave», on reparle de cogestion et on discrédite parallèlement les productions lourdes, toutes ces entreprises qui gangrènent le marché par leur poids et les pertes qu’il entraîne. On parle de petits budgets quand les dinars semblaient fondre au soleil de l’expansion. On en vient à solliciter une meilleur adéquation des préoccupations des créateurs à la problématique socialiste. Mais cela est-il pensable sans auteurs? Et les scénaristes ne courent pas les rues! Il devient indispensable dès lors de manier les compromis, en étouffant l’outrance artistique comme le profit injustifié.

La réflexion critique — la liberté de l’artiste

Parallèlement, la critique d’inspiration universitaire a formé l’opinion à une réappréciation des critères de jugement d’un film. Elle a admis que la vérité artistique était une valeur en soi qui ne saurait entamer le crédit d’un film par le simple fait qu’elle n’est pas la vérité officielle ou la vérité objective. Le spectateur est considéré comme capable d’amorcer une approche en direction du film, à la fois intelligente et nuancée. Tout ceci amenant la notion d’éducation des masses. On s’aperçoit que dans le domaine du film, les Yougoslaves sont inondés de produits étrangers, qui ne font guère avancer la notion de valeur. La culture socialiste n’apporte pas de réponse par elle-même, se trouvant disséminée elle aussi dans une série de manifestations contradictoires et d’intérêt totalement inégal. Sur quoi tabler? Sur le goût inné, sur la spontanéité, sur le bon sens des spectateurs? Mais ils s’accordent mal avec une technique et un moyen d’expression difficiles à assimiler...

Mais pourquoi contraindre les masses à accepter un cinéma expérimental quand elles sont dotées d’un pouvoir d’enthousiasme inégalé dans les pays technologiquement avancés? L’art expérimental ne serait-il pas l’art révolutionnaire?

Voici que prévaut dès lors une appréciation du cinéma sous un angle moins doctrinal. Tout comme l’homme de science est laissé à la liberté de sa recherche, le cinéaste peut obtenir la sienne, moyennant qu’il sache dans quel but il travaille. La société va lui fournir les conditions d’utilsation d’un instrument qu’il devra lui-même affiner pour la servir et pour l’aider — cette même société — à s’appréhender elle-même.

L’impasse — le gel

A cause des mesures sévères qui sont prises à l’instigation du pouvoir, le sentiment prédominant reste que la plateforme de travail offerte au créateur en 1975 est instable et peu propice à l’invention. La lourdeur de l’appareil, les aléas économiques, les intérêts divergents rendent improbables les réalisations signifiantes. Le système d’ailleurs a avalisé un nombre trop grand d’entreprises insignifiantes pour que s’impose un art authentiquement socialiste. A moins d’un raz-de-marée sur toute la pyramide...

La valorisation imprevisible — l’inspiration

Tout comme il n’existe pas une Yougoslavie sage et une dans ses diversités, il n’existe pas d’artiste yougoslave-type. La coloration culturelle marxiste n’a rien enlevé aux traditions looales et régionales, aux réalités du patrimoine, ce qui fait qu’en dehors d’une volonté de fixation des idéaux marxistes dans une entité nationale, surgissent pour contredire toutes les entreprises dirigistes, des velléités fédéralistes et autonomes dont le pouvoir a accepté de tenir compte dans la Constitution et qui sont autant de résistances à l’esprit d’alignement du gouvernement central. Cela fait que ces personnalités distinctes ayant toutes leur point de vue socialiste encouragent des formes distinctes de productions cinématographiques où percent des idées originales, liées à l’expression populaire. Ce même phénomène de diversion par rapport à l’art officiel s’observe dans les républiques asiatiques soviétiques. La représentation de la problématique socialiste y est amalgamée à une attitude sociale ancestrale qui la rend dynamique et généreuse, révélatrice en tout cas d’un certain nombre de conflits inhérents à l’évolution imprimée à la société.

C’est donc par cette valorisation imprévisible, par les témoignages inconscients qu’elle délivre qu’une telle production est captivante et du même coup signifiante. On ira donc déceler dans nombre de productions d’apparence hâtive le signe d’un climat, le pouls d’une société. Nous voilà donc lancés dans l’appréciation sociologique ou quasi, du film yougoslave dans une période où, comme des antagonistes, théoriciens du parti, travailleurs du film, économistes et créateurs tentent de lancer des ponts entre eux.

L’interet spécifique — l’avenir

On ne saurait nier cependant l’intérêt d’une partie de la production yougoslave. Mais des orientations commerciales axées sur le film d’animation et le film documentaire sans dialogues ont laissé dans l’ombre la distribution à l’étranger des œuvres de fiction, sauf en de rares cas. La situation souvent précaire des maisons de production ne facilitait pas l’exportation, d’autant que les normes esthétiques dans les films présentant quelques audaces n’étaient pas de celles qui plaisaient aux gouvernants.

Les co-productions entreprises avec l’étranger n’ont par ailleurs pas apaisé les conflits. Tant s’en faut, sauf celles qui ont eu pour partenaires des groupes d’autres pays de l’Est.

La réflexion que nous proposons aujourd’hui ne prétend pas être exhaustive. Nous allons dégager de l’ensemble de la production des traits marquants en pointant ici et là des œuvres significatives avant d’en arriver à illustrer les travaux de quelques jeunes réalisateurs et les tendances de la production actuelle.

PROBLEME UND ANSICHTEN

Die Finanzlage der verschiedenen Republiken ist unterschiedlich, was den Wohnsitzwechsel bestimmter Regisseure erklärt. So war in Slowenien die Viba Film wegen Meinungsverschiedenheiten in kulturellen Fragen in eine finanzielle Krise geraten, die durch die straffe Führung der Leitung behoben werden konnte. Von Dusan Proh (Viba Film), von Velimirovic (Regisseur) und anderen wird die Selbstverwaltung propagiert, wodurch die Probleme gelöst werden könnten. Die Zusammenarbeit mit dem Fernsehen dehnt sich aus, doch dadurch wurden die Schwierigkeiten nicht aus dem Weg geräumt. Mignon Mihaljevic, Programmdirektor der TV Zagreb, meint, dass sich zwar sämtliche TV-Anstalten (der Welt) auf alte Filme stützten, dass sich aber das jugoslawische Fernsehen in einer besseren Situation befinde und auch zeitgenössische Filme ausstrahlen könne, da die Zahl der Kinos klein und die Auswertungszeit der Filme kurz (1-2 Jahre) seien. Es muss sowohl auf wirtschaftlicher Basis (Investition und Gewinn) als auch in Bezug auf die Art der Filme (Länge und Bild- bzw. Formwahl) eine Lösung gefunden werden: Film fürs Kino, Serien fürs Fernsehen. Die jungen Autoren sind dieser, Differenzierung gegenüber zugänglicher.

Gute Drehbuchautoren für Fiction-Filme fehlen, und darum wendet man sich, so Velimirovic, der Literatur zu, die im Gedankengut und in der Struktur Substanz hat. Das Hindernis für die Entwicklung einer wirklichen jugoslawischen «Schule» liegt in der Verschwommenheit der Kriterien von Filmschaffen und Filmproduktion. Die Chancen, die das föderalistische System Jugoslawiens bietet, werden durch die Komplexität der Verwaltung und Finanzierung aufgewogen. Zwei Mängel sind vereinigt: Die Starrheit des sozialistischen richtungsverbindlichen Systems und die Verwirrung und das finanzielle Überbieten der kapitalistischen Systeme. Jugoslawien hat die Weichen noch nicht gestellt.

Claude Vallon
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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