ROLAND COSANDEY

CINÉMATHÈQUE ET DIFFUSION

CH-FENSTER

Le rôle qu’ont assumé les cinémathèques dans la diffusion des films a brouillé souvent l’image exacte de ces institutions. Pour des usagers habitués à voir sur l’écran de leur ciné-club la mention d’origine «Cinémathèque», comme pour le grand public, elles passent, à l’instar d’une bibliothèque, pour un service de prêt.

Il suffirait d’effectuer par téléphone la commande du film désiré — le plus souvent sans la moindre idée de l’état des collections — pour l’obtenir, le plus souvent dans le plus bref délai.

Or les cinémathèques ne sont pas des maisons de distributions. Ce sont des lieux de conservation, de restauration, de recherche. Elles s’apparentent au musée et la diffusion, selon des modalités qui lui sont propres, représente une tâche muséographique parmi d’autres. Si la confusion est née généralement d’une assimilation abusive des dénominations (bibliothèque = cinémathèque), elle correspond aussi à une réalité historique qu’on illustrera ici en prenant l’exemple de notre cinémathèque.

En effet, la Cinémathèque Suisse de Lausanne a été fondée non pas sous l’impulsion de muséographes, mais d’animateurs de ciné-club. Il fallait, après la guerre, combler le vide qui béait sur les écrans: les années de la guerre, mais aussi tout ce que l’avènement du parlant avait d’un coup fait disparaître de la circulation, de Méliès à Stroheim. Grâce aux acquisitions et aux échanges que la cinémathèque diffuse, les ciné-clubs suisses se livrent ainsi, jusqu’aux années soixante, à une extraordinaire réappropriation de l’histoire du cinéma.

A cette mission qui fait partie intrinsèque de la vocation d’une cinémathèque, s’est ajoutée un patient travail de récupération. Il a fallut capter la confiance des distributeurs pour qu’ils cessent de détruire les copies parvenues à échéance du contrat et qu’ils se décident à les déposer. Il a fallu négocier des réglementations fixant les modalités du dépôt et, en particulier, l’usage des copies. Protégeant leurs intérêts commerciaux, les déposants ou les ayant-droits cherchent naturellement à limiter la diffusion publique des bobines qu’ils cèdent, voire même à la réduire à sa plus simple expressions: la projection d’un film n’est souvent possible qu’à la cinémathèque elle-même.

Puis, à partir du moment ou la législation constitutionnelle a permis d’allouer des subventions fédérales à la cinémathèque, une politique officielle s’est constituée peu à peu qui cherche à limiter l’expansion de ce que la section Cinéma définit comme «marché gris». Les exigeances de cette politique obligent ainsi à préciser le cadre légal de l’activité de diffusion et orientent le subventionnement vers le travail de conservation proprement dit.

Enfin, depuis quelques années, l’apparition d’associations de projection non-commerciales dont l’activité et le statut ne sont pas comparable avec ceux des ciné-clubs a modifié la demande de films du secteur culturel. Le changement n’est pas seulement quantitatif, il est essentiellement qualitatif. En effet, les ciné-clubs traditionnels disposaient grâce à leurs statuts de club d’une relation particulière avec la cinémathèque qui assurait à celle-ci une certaine immunité dans l’usage des copies. Or ces statuts ne correspondent pas à la nature du CAC, du Kellerkino ou du Filmpodium, très souvent ils ne correspondent plus exactement au mode de travail actuel des ciné-clubs eux-mêmes.

Ce n’est donc pas par hasard que c’est créée dans le domaine de la distribution non-commerciale une association comme Cinélibre qui a succédé à l’ancienne Fédération suisse des ciné-clubs. Cinélibre ne remplace pas la diffusion qu’il est souhaitable qu’une cinémathèque effectue. Son travail correspond à une situation dont les protagonistes ont changé de nature après la période de grande expression des ciné-clubs.

Cela précisé, personne ne mettra en doute qu’une cinémathèque qui ne montre pas ses films n’est rien de plus qu’un dépôt de ce celluloid dont on fait les peignes. Nous essayerons maintenant de définir d’un point de vue général le cadre spécifique de son activité de diffusion.

A moins de réserve expresses (clauses du contrat de dépôt, état de la copie), une cinémathèque a l’usage des copies déposées pour le visionnement et leur projection dans ses propres locaux. C’est l’équivalent d’une bibliothèque de consultation d’où les livres ne sortent pas, mais qui permet aux chercheurs de faire leur travail, alors que la salle de projection représente cet indispensable haut lieu de découverte permanente dont Langlois a donné l’exemple à Paris.

Comme le contrat de dépôt ou le rachat de copies n’est que rarement accompagnés de la possession des droits du film, les titres susceptibles d’être diffusés à des tiers ne correspondent qu’à une part réduite de l’ensemble des collections. Cette part dépend des occasions et des choix; elle est toujours tributaire de l’ampleur des moyens financiers mis à disposition de l’instituteur et de leur répartition. Ainsi une cinémathèque qui privilégie la conservation ne diffusera que des copies dont elle possède un négatif ou au moins un second positif.

Le fonds de diffusion d’une cinémathèque peut être ainsi constitué d’un ensemble d’œuvres représentatives de l’histoire générale du cinéma choisies selon des points de vue multiples et complémentaires: esthétique, économique, sociologique, etc. Si l’institution a une vocation nationale, il est évident qu’elle doit pouvoir également disposer à des fins de diffusion d’un choix de films retraçant les étapes de la production cinématographiques du pays.

La difficulté de faire entrer dans la réalité cette description idéale n’est pas seulement d’ordre économique. Il est rare, en effet, que les questions légales ayant trait à la possession des droits et aux modalités d’usage, puissent être réglées d’une façon aussi claire qu’on le souhaiterait.

Outre les ressources de ses propres collections, une cinémathèque a les moyens d’organiser ou de parrainer la diffusion de films en provenance de l’étranger. Nous n’insisterons pas sur cet aspect de la question. Elle se concrétise chaque année en Suisse par de nombreuses manifestations reprises par les principaux ciné-clubs du pays: tournées de cinéastes, rétrospectives, semaines nationales, etc.

Des quatre grands secteurs d’un musée du cinéma — la conservation, la documentation, la recherche et la diffusion — ce dernier prend une importance particulière quand on constate qu’il met l’institution en contact permanent et souvent exclusif avec un large public. Un grand nombre d’usagers n’utilisent d’ailleurs la cinémathèque qu’en fonction de la présentation de films et sont régulièrement confrontés à des situations qui leur paraissent manquer de clarté. Les remarques qui précèdent ne contribueront pas nécessairement à dissiper leur impression. Actuellement dans ce domaine on se trouve très souvent devant des états de faits qui peuvent varier parfois d’un film à l’autre et qui ne constituent jamais des règles, ni, à plus forte raison, un cadre «légal» définitivement fixé. L’usage public des collections de films est souvent le résultat d’accommodements, d’échanges de bon procédé, de passion rusée dont les subtilités nous échappent: les grands prêtres des cinémathèques ne sont-ils pas cousins des prestidigitateurs?

Roland Cosandey
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
[© cinemabuch – seit über 60 Jahren mit Beiträgen zum Schweizer Film  ]