CLAUDE VALLON

PROBLÈMES ET PROPOS

ESSAY

Selon le directeur de Jadran Film Suilejman Kapic, le problème financier de la cinématographie yougoslave n’existe pas comme un tout, il dépend en fait de la façon dont on entend réintroduire l’argent investi pour la réalisation des films dans la production d’autres œuvres. Tout est là: comment assurer la continuité? On peut évidemment morceler les budgets en augmentant les partenaires, mais cela lui paraît autant de mesures artificielles si tant est que les entreprises devraient pouvoir vivre par elles-mêmes sans recourir, sans cesse, à de nouveaux investissements. Pour S. Kapic, la solution est dans des productions bon marché. Pourtant les films annoncés pour 1975 par Jadran Films ne sont pas de cette catégorie-là, grâce à l’apport du Fonds pour la culture de la République socialiste de Croatie.

Il se trouve aussi que certaines républiques sont mieux dotées en moyens financiers, ce qui explique certains déplacements de réalisateurs d’une capitale à l’autre pour assurer le financement de leurs films.

Un film comme le Derviche et la mort de Zdravko Velimirovic tourné en 42 jours a coûté 350 millions d’anciens dinars, ce qui représente pour ce réalisateur l’opération la plus onéreuse qu’il ait conduite. «Les films spectaculaires, dit-il, sont du simple sabotage. Pour mon film chaque dinar a été soupesé, mais souvent l’argent passe derrière la caméra avant qu’on ait rien vu tourner». Le moyen d’éviter cela? A travers le développement de l’auto-gestion, pense Velimirovic, et «par la mise en place de cette auto-gestion dans toute l’organisation de notre cinéma aussitôt que possible». Deps d’Anton Vrdoljak a été tourné en 23 jours et a coûté 174 millions d’anciens dinars, Milena Dravic, selon le réalisateur a touché 7 millions d’anciens dinars et lui-même 11 mllions.

Viba Film Ljubljana a passé par une crise financière en 1973 du fait d’un antagonisme entre cette maison et l’Association pour la culture de Slovénie. L’Association entendait ne pas suivre les décisions du Conseil pour la cinématographie. Ce conflit fuit apaisé par la démission du président du Conseil en signe de protestation et par l’intervention de l’Association des travailleurs du film. Mais l’équilibre financier de Viba Film a été sauvé par la rigueur que ses dirigeants ont mis à soutenir un plan d’investissement et par la création de groupes de travail qui préparent des programmes indépendants et entretiennent une concurrence avec la maison-mère. La décision sur le programme appartient à un comité composé de représentants des groupes, de représentants de la compagnie et de représentants des compagnies de distribution et de télévision.

L’Association pour la culture de Slovénie a attribué à Viba film une somme de 20 millions d’anciens dinars pour le développement de scripts. A travers la nouvelle Constitution et ses ammendemente, toutes les conditions existent, estime Dusan Proh, représentant de Viba Film, pour que tous les problèmes de la cinématographie yougoslave soient résolus par l’auto-gestion. L’une des nécessités les plus impérieuses consiste selon lui à trouver une solution à la répartition des revenus. «Je suis membre du Comité de coordination de la cinématographie yougoslave, mais cette commission travaille trop lentement. Il semble qu’il y a des gens qui ne désirent pas que les affaires de notre cinéma trouvent une solution et qui veulent garder leur statut et position actuels. Le risque que nous courons c’est que Pula 1975 soit la répétition de Pula 1961 avec une participation de 32 films alors que dans le même temps la production accusait un déficit de plusieurs milliards de dinars qui valaient bien plus qu’aujourd’hui!» La coopération avec les différents organismes de télévision s’étend en Yougoslavie. Cela constitue en quelque sorte un appoint aux difficultés économiques du cinéma. Neoplanta Film à Novi Sad a passé un accord avec TV Belgrade et TV Novi Sad pour la production d’un projet télévision-cinéma d’après les œuvres de Jasa Ignjatovic. Mais nous verrons tout à l’heure que TV Zagreb a d’autres idées quant au produit télévisé...

Ilija Milutinovic d’Avala Genex estime que la production yougoslave ne s’est guère enrichie de thèmes contemporains et que l’on en reste presque exclusivement aux sujets de guerre. Le problème des fonds dont pourrait disposer la production est lié selon lui à la meilleure répartition des profits (notamment en direction de ceux qui ont investi travail et fonds), au système de taxation sur les entrées au cinéma, au contingentement de la production afin d’éviter une concurrence fâcheuse, à la diminution du nombre des films étrangers importés...

Pour Mignon Mihaljevic, directeur des programmes de TV Zagreb, «En tant que très grands consommateurs de films (208 en une année), la télévision joue un rôle important dans la crise de la production dans le monde et en Yougoslavie. Du fonds des films de fiction disponible dans le monde (quelque 6000), la plus grande partie a déjà été programmée et les nouveaux films n’arrivent qu’en quantité restreinte... Toutes les télévisions se jettent alors sur la projection de séries de vieux films... En ce qui concerne les films contemporains, la télévision yougoslave est certainement en meilleure position que celle d’autres pays à cause du nombre relativement restreint des salles de cinéma et de la courte période d’exploitation des films (un à deux ans). La télévision joue ainsi le rôle de compensatrice des carences de la distribution des films étrangers ou nationaux — dans les six premiers mois de 1974 TV Zagreb, TV Belgrade et TV Sarajevo ont montré environ trente nouveaux films, TV Zagreb a présenté le mercredi, 13 films qui n’avaient pas été montrés dans les cinémas. Des télévisions plus riches que les yougoslaves essaient de résoudre cette question du manque de films en créant des films de fiction spécialement pour la télévision. Aussi les producteurs TV n’ont pas à attendre 5 ou 6 ans jusqu’à ce que les droits soient levés et n’ont donc pas à payer de hauts pourcentages pour une ou deux diffusions. En Europe la télévision française est un producteur important de ce genre de films, l’Allemagne de l’Ouest a créé le TV-Spielfilm et la Grande-Bretagne a produit 26 thrillers de long métrage. Les Etats-Unis offrent depuis plusieurs années des TV Movies sur le marché — ce sont des films réalisés spécialement pour la tv.»

Est-ce la fin du film de cinéma à la tv?

Actuellement il y a une différence essentielle entre le film de fiction pour la télévision et le film de fiction pour le cinéma. Comment dire ça, il y a une différence de forme, de goût et de couleur entre tv et cinéma, quoique la tv utilise aussi des réalisateurs et parfois des acteurs connus. Est-ce parce que les scénarios sont découpés en fonction du petit écran ou à cause des budgets, en tout cas la plupart des films tv sont reconnaissables au fait qu’ils conviennent au format des postes de réception alors que les films de cinéma le dépassent un peu. Peut-être pourrait-on établir le même rapport entre les «spaghetti-westerns» et les westerns originaux: ils ont les caractéristiques des westerns tout en n’en étant jamais tout à fait.

Les téléspectateurs ressentent très bien la différence et ils préfèrent les vrais. Le cinéma pour trouver une solution a imaginé une formule économique: film pour le cinéma — séries pour la télévision.

Mais les résultats satisfaisants sont rares car les séries tv requièrent une dramaturgie différente de celle des films de fiction: dans chaque épisode il doit y avoir une unité dramatique et une action complète. Il semble alors que ceux qui estiment qu’il est possible de faire des séries avec des bouts de films ou des films de fiction avec des épisodes tv mis bout à bout, se trompent. Les téléspectateurs qui sont désireux de recevoir des produits-maison acceptent de telles solutions comme un mal nécessaire dans l’attente d’autre chose. Après tout, de telles expériences sont rares dans le monde de la production (excepté la France où des films de fiction sont souvent montrés par épisodes de 15 minutes).

Actuellement les films de fiction venus du cinéma sont des films (real) pour les téléspectateurs, mais si les producteurs ne réussissent pas à trouver un moyen de sortir de la crise financière, la télévision sera contrainte d’utiliser ses propres ressources et d’améliorer son nouveau produit: des films de fiction pour la télévision. (Pula 1974).

On remarquera que le problème n’a nullement été posé dans des termes auxquels nous sommes habitués, à savoir la symbiose utile que cinéma et télévision peuvent susciter, quand leurs intérêts s’apparentent. Le produit télévisé ne paraît pas intéresser les milieux de cinéma et vice et versa, sinon comme palliatif dans une situation précaire. Seuls les jeunes réalsateurs sont sensibles à ce rapprochement. La plupart des cinéastes des deux générations précédentes sont sortis du théâtre ou du documentaire ou des deux successivement ou parallèlement, ce qui les oriente vers une conception de la production beaucoup plus littéraire et traditionnelle.

C’est précisément ce besoin que certains entendent couvrir en réclamant des scripts écrits par des spécialistes. Le réalisateur Velirnirovic déclare: «Nous avons beaucoup de films dont le script a été mal conçu. Nous avons peu de scénaristes professionnels, car on ne peut vivre du travail de scénariste dans une industrie cinématographique désorganisée où il n’y a aucune continuité de production», et il explique ensuite pourquoi il s’est tourné vers la littérature: les œuvres littéraires ont densité de pensée et structure:

On doit naturellement transposer du médium littéraire dans le médium cinématographique l’œuvre choisie, et ce n’est pas une petite tâche, et il faut aussi assumer une responsabilité vis-à-vis du public qui a déjà assimilé l’œuvre littéraire et qui lui a apporté ses propres impressions et a développé son propre film (Pula 1974).

On le voit: l’un des obstacles majeurs à l’éclosion d’une véritable «école» dans le cinéma de fiction yougoslave réside dans la non-définition (ou la mauvaise définition) des critères de production et de création, dans les compromis incessants qui sont réalisés pour atteindre des objectifs, fussent-ils limités; les chances dont disposent les créateurs dans l’apparente diversité du système fédéraliste yougoslave sont contrebalancées par la complexité des modalités de financement et de gestion, et par la compartimentation excessive des secteurs, en dépit ou à cause de l’effort d’association de tous les intéressés. Deux défauts se marient ici: l’immobilisme des systèmes socialistes tutéiaires et la confusion et la surenchère financière des systèmes capitalistes... La voie yougoslave n’est pas encore trouvée.

ANSTELLE EINES NACHWORTES

Es herrscht eine Vorliebe für Filme, deren Autoren mehr vom Westen als vom Osten inspiriert sind. Denn die Jungen haben entdeckt, dass sich Dinge nicht manipulieren lassen wie Ideen; das nackte Dokument und die Schulweisheit gehen am Leben vorbei. Die Frage ist, ob sich der Traum eines jugoslawischen Frühlings bis ins letzte ausdrücken lasse, oder ob er unterdrückt werden müsse. Die Talente und die Absichten sind vorhanden, doch die jugoslawische Gesellschaft vollführt einen Balanceakt zwischen einer ruhmreichen Vergangenheit und einer bedrohten Zukunft. (jb)

Claude Vallon
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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