La cinématographie yougoslave se trouve aujourd’hui dans la situation du meilleur et du pire. Un engouement existe pour le film, dont témoignent les œuvres de jeunes réalisateurs davantage inspirés par l’Ouest que par l’Est, par ce qu’il y a de plus vivant dans l’Est que par ce qui y est classique. Les circonstances politiques ne leur sont guère favorables. Les conquêtes de la révolution qu’ils ne nient pas ne les satisfont guère dans la mesure où elle se confond avec l’institution. Celle-ci devrait changer, s’adapter, comprendre que la mentalité fondamentale de la jeunesse évolue... D’ailleurs les échecs du modernisme intégral sont profondément ressenties dans certaines couches de la population. L’industrialisation n’est pas forcément le baume à tous les maux d’un pays. Il convient de ne pas nier son âme. Et précisément ce que les jeunes découvrent, c’est que les choses ne se manipulent pas comme les idées, qu’elles ont leur irrationnalité qu’il convient de protéger. La vie n’est pas tant dans le but purificateur et sanctificateur qu’on lui donne avec l’aide de principes et d’attitudes que dans les rapports existant entre les gens d’une part, entre les gens et les choses d’autre part, entre les choses enfin. Dans leur complexité, leur mystère, leur étonnement d’être. Voilà qui conduit à une interprétation plus personnelle de l’existence. Le document brut, le didactisme scolaire, tout cela passe à côté de la vie. C’est d’ailleurs si vrai que même les films conçus avec toute la rigueur du militantisme éprouvé finissent par être des spectacles que l’on reçoit sans jamais les ressentir, comme des cartes postales. Rendre au cinéma sa vitalité, ses possibilités de médium et d’échange. Lui faire dire quelque chose, de troublant au niveau de la forme, de la structure et de la pensée, l’ouvrir à l’observation du monde simplement, sans fatras idéologique...
Ce rêve d’un printemps yougoslave déjà partagé par de nombreux jeunes créateurs pourra-t-il s’exprimer jusqu’au bout? devra-t-il se plier à un langage abscons? devra-t-il s’étouffer?
La problématique socialiste et la thématique conventionnelle qui en découle, ont fait leur temps. C’est si vrai d’ailleurs que les films de partisans ou de guerre ont des allures inavouées de «westerns», avec leur classification si rigide des bons et des méchants, les actions-types, les poursuites, les combats, etc. Ce cinéma d’«anciens combattants» est terriblement stérile, aussi stérile que l’imagerie bourgeoise traditionnelle... Si encore la veine épique les traversait dans toute sa grandeur, mais ce ne sont que des fresques mortes. C’est, à contre-sens, le meilleur moyen d’oublier la guerre, le fascisme, la violence.
Un cinéma de libération passe par l’analyse, le commentaire, la réflexion sur la société telle qu’elle est aujourd’hui.
Les talents existent, les intentions aussi. Mais la société yougoslave est en perpétuelle balance entre un passé glorieux et un avenir menacé, elle paraît davantage préoccupée de repli que d’ouverture. A moins que...